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« Henry Ford, l’inventeur du siècle américain », sur France.tv : un visionnaire et inquiétant démiurge

FRANCE.TV – À LA DEMANDE – DOCUMENTAIRE
Que retenir de Henry Ford ? L’ingénieur visionnaire qui, en associant le travail à la chaîne à une standardisation des produits, inventa le « fordisme » à l’origine de l’essor de l’industrie automobile ? Ou bien le patron antisémite, réactionnaire, capable de réprimer dans le sang la contestation ouvrière, et démiurge rêvant de régenter les existences comme les pièces mécaniques ?
Le documentaire réalisé par Nicolas Glimois, Henry Ford, l’inventeur du siècle américain, dresse le portrait d’un personnage beaucoup plus ambivalent que le mythe réducteur de celui qui mit l’« Amérique sur des roues ».
Les images d’archives sélectionnées retracent aussi bien une extraordinaire épopée industrielle que des moments plus intimes de cet autodidacte, fils de fermiers du Michigan, qui deviendra l’un des patrons les plus influents du monde. Le commentaire sans concession invite à s’interroger sur cette personnalité complexe, en avance sur son temps au début du XXe siècle avant d’être débordée par une modernité qu’elle a eu de plus en plus de mal à appréhender à la fin de sa vie.
Le génie de Ford a été de comprendre le premier que le succès de son entreprise reposerait sur la capacité de son personnel à acheter ses produits grâce à des salaires supérieurs à ceux en vigueur chez ses concurrents. Les gains de productivité sont en partie rétrocédés aux ouvriers. En échange de cadences qui s’accélèrent, il y a l’espoir d’accéder au rêve automobile et à la classe moyenne.
L’envers du décor de ce productivisme aux relents consuméristes est évidemment peu enviable : sur les chaînes règnent une discipline de fer et des conditions de travail harassantes. Le paternalisme ne connaît pas de limites. « Nous fabriquons des hommes autant que des automobiles », affirme Ford, qui n’hésite pas à régenter la vie de ses ouvriers jusque dans leur vie intime. Morale, propreté, sobriété doivent être adoptées sous peine de retenues sur salaire, voire de licenciement.
L’inventeur de la Ford T, qui sera vendue à plus de 15 millions d’exemplaires, renvoie l’image d’un homme du peuple, proche de la nature, loin des financiers de Wall Street, qu’il exècre. « Il n’aime pas lire les livres qui lui embrouillent l’esprit, explique le documentaire. Inculte, il a pourtant des idées sur tout : le pacifisme, la détestation des villes, la chimie dans l’agriculture (…). Mais, surtout, il a des idées sur les juifs. »
Utilisant l’influence qu’il a acquise grâce à sa réussite industrielle (au sortir de la première guerre mondiale, une voiture sur deux dans le monde sort de ses usines), il diffuse un antisémitisme assumé. Au fil des éditoriaux qu’il signe dans son journal, The Dearborn Independent, distribué par les concessionnaires à des millions d’Américains, il mouline sa haine des juifs, présentés comme des « charognards du monde » qui, « un jour (…) récolteront ce qu’ils ont semé ». Cette haine viscérale vaudra à Ford l’encombrant hommage d’Adolf Hitler dans Mein Kampf, qui écrit à son propos : « Un grand homme qui, seul, a défié le pouvoir de l’argent juif aux Etats-Unis. »
Ford est-il l’inventeur du siècle américain, comme l’affirme le documentaire ? En tout cas, entre son génie industriel, son complotisme, sa brutalité sociale et sa recherche permanente de l’efficacité économique, il en a été l’un des acteurs majeurs. Pour le meilleur et pour le pire.
Henry Ford, l’inventeur du siècle américain, de Nicolas Glimois (Fr., 2023, 53 min).
Stéphane Lauer
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